Lettre de madame Ruiko Muto, habitante de Fukushima, à l'OMS.

29/03/2016 22:13

Lettre de madame Ruiko Muto, habitante de Fukushima, à l'OMS.

 

Bonjour à toutes celles et tous ceux qui travaillent à l'OMS.

Je m'appelle Ruiko Muto et je vis dans le département de Fukushima au Japon.

Cinq ans après l'accident nucléaire, des vagues déferlent toujours sur notre département de Fukushima, mais ce sont celles des incitations au retour des habitants et à la reconstruction. Au niveau local aussi bien que national, on peut voir diverses mesures se mettre en place en vue des Jeux Olympiques de Tokyo de 2020. Ainsi s'estompe, jour après jour, l'accident nucléaire comme s'il avait maintenant pris fin.

Cependant, la réalité est tout autre.

Sur le site de la centrale, le problème de l'eau contaminée ne cesse de s'aggraver. Et chaque jour, 7 000 personnes y travaillent dans des conditions difficiles, en subissant une irradiation importante.

L'Etat et les autorités de Fukushima annulent, l'une après l'autre, les directives d'évacuation des zones dangereuses alors que le niveau de radioactivité n'a pas suffisamment baissé.

Les déchets radioactifs générés par la décontamination sont mis dans de simples sacs et entassés un peu partout dans le département ; parfois enfouis dans des cours d'écoles ou dans des jardins d'habitations. Beaucoup d'habitants vivent donc à proximité de ces sacs de déchets. Normalement, les déchets radioactifs doivent être placés dans un bidon jaune spécifique, avec un contrôle rigoureux. Or, en raison des quantités trop importantes, l'administration recourt à une gestion très grossière du traitement des déchets.

Par ailleurs, le nombre de morts des suites de la catastrophe a dépassé 2 000 personnes dans le département. Et de nombreux cas de dépression et de suicide sont constatés dans les logements provisoires où vivent encore une partie des évacués.

Dans cette situation, le nombre des cancers de la thyroïde chez les enfants et les adolescents de Fukushima s'élève à 116 (cancers avérés après opération sur 166 cas présentant des cellules malignes ou suspectées telles, selon un chiffre publié le 31 décembre 2015). Les autorités départementales qui ont effectué les examens de santé ont admis que l'incidence est très élevée, mais nient toujours que ce phénomène soit en rapport avec l'accident nucléaire. Cependant, il n'y a pas d'enquêtes menées pour déterminer la cause de ces cancers ni d'examens plus approfondis sur la santé.

De même, les mesures concrètes pour réduire l'exposition aux rayonnements ionisants ne sont pas appliquées. Ainsi, les séjours dans des régions non contaminées pour les enfants de Fukushima ne sont pas mis en place par les autorités.

 

En revanche, il est proposé aux habitants une "formation à la radioactivité" de différentes manières : elle met surtout en avant la thèse selon laquelle "le département de Fukushima offre maintenant des conditions de sécurité en matière de radioactivité."

Nous assistons à la mise en œuvre d'un nouveau mythe de la sécurité concernant la radioactivité, et nous craignons que les paroles d'inquiétude et de méfiance des habitants soient empêchées de s'exprimer.

Eh bien, il faut le redire, haut et fort : OUI !, l'accident nucléaire de Fukushima est toujours en cours. Ses dégâts persistent et ne cessent de s'étendre en changeant de forme.

Mesdames et Messieurs de l'OMS,

Ce dont nous avons besoin, ici à Fukushima en ce moment, ce sont des examens épidémiologiques systématiques. Nous devrions pouvoir étudier sérieusement les conséquences des rayonnements ionisants chez les habitants, notamment chez les enfants.

Et il est urgent de mettre en place des mesures qui limitent les effets de la radioactivité.

Nous demandons à l'OMS qu'elle prenne la tête d'actions et de mesures appropriées pour sauver la santé des enfants japonais.

Nous vous le demandons solennellement et nous comptons beaucoup sur vous. Merci.

 

Fukushima, le 11 mars 2016 Ruiko MUTO