Areva dans les années 2000 : le numéro 1 mondial du nucléaire, une fierté nationale, un fleuron de l’industrie française, le fer de lance de l’image de la France à l'étranger. Aujourd’hui, Areva est à l’agonie. Alors que le rachat par EDF de son activité réacteurs traîne, l'entreprise va être recapitalisée à hauteur de 5 milliards. C'est la plus grosse dette jamais payée par les contribuables depuis l’effondrement du Crédit Lyonnais, et ce n’est qu’un début… Les pertes frôleraient les 10 milliards d’euros. L'histoire finit mal aussi pour 6 000 salariés qui verront leur poste supprimé d'ici à 2017. Sans compter qu'aujourd’hui, la justice s’en mêle et soupçonne des opérations de corruption.
Qui sont les responsables ? Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi l’Etat n’est-il pas intervenu ? Le 17 février 2016, "Pièces à conviction" enquête en Finlande, à Tchernobyl, en Namibie, en Afrique du Sud... pour comprendre les raisons du naufrage et les dessous d'une affaire d'Etat.
Défaut de compétence technique
Le premier grand fiasco d’Areva, c’est le chantier de démantèlement de Tchernobyl après la catastrophe nucléaire de 1986. L'Ukraine commande à Areva un centre de stockage du combustible usé, une installation vitale pour démanteler la centrale. Celui-ci sera inexploitable pour cause d'erreur de conception majeure. Pascal Henry, l'auteur de cette enquête, a rencontré le responsable du site, l’un des premiers à dénoncer l’incapacité d’Areva à remplir ses engagements.
Le désastre se poursuit avec la construction mal maîtrisée d’un EPR, un réacteur nouvelle génération, en Finlande. Dès le début, l’entreprise sous-estime les coûts et les difficultés techniques. Et tente ensuite de dissimuler ses erreurs. "Quand [les ouvriers] découvraient un défaut de construction, leurs chefs d’équipe leur ordonnaient de verser le béton pour masquer les malfaçons, et de la boucler", révèle Juha Aromaa, militant de Greenpeace Nordic.
Depuis, les mauvaises surprises se sont enchaînées. Des malfaçons ont été découvertes aussi à Flamanville (Manche), autre EPR de troisième génération : la cuve n'est pas conforme aux normes de sécurité. Areva est soupçonné de les avoir sciemment dissimulées dès 2007 – elles n'ont été connues qu'en 2015. La filière EPR, produit phare d'Areva, est en panne.
Fautes stratégiques
Pendant les dix ans de sa splendeur, Areva, c'est une patronne qui met en avant sa stratégie pour gagner : Anne Lauvergeon. A son arrivée en 2001, "Atomic Anne" veut dépoussiérer l’image de l’atome et défend bec et ongles le nucléaire sur les plateaux de télévision. La patronne star a son heure de gloire dans les médias, mais ses détracteurs lui reprochent d'être une politique et non une ingénieure. "Elle a même convaincu l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy. Il a mis trois ans à se rendre compte qu’elle lui racontait des histoires. C'est pour ça qu'elle s'est fait virer (en 2011)", témoigne le député UDI Charles de Courson.
Aujourd'hui, les spécialistes se demandent comment Anne Lauvergeon a pu commettre autant de fautes stratégiques sans que les autorités réagissent, alors que des membres de l'Agence des participations de l'Etat siégeaient au conseil de surveillance. A commencer par une ahurissante acquisition de 1,8 milliard d’euros : la société Uramin et ses trois gisements en Afrique, inexploitables. Un fiasco à 2,5 milliards d'euros soigneusement dissimulé à l'Etat actionnaire. Mais ce n'est pas tout : dans ce rachat, le propre mari d'Anne Lauvergeon, Olivier Fric, est soupçonné de délit d’initié. A-t-il obtenu une information confidentielle de sa femme pour le rachat d’Uramin ?
Soupçons de corruption
La justice enquête sur des malversations et des détournements de fonds liés à l'affaire Uramin, mais aussi une caisse noire de plusieurs centaines de millions de dollars. Elle aurait servi à acheter des contrats sur les marchés du nucléaire. Et notamment à corrompre des dirigeants sud-africains pour leur faire acheter des centrales.
En 2012, l’Observatoire du nucléaire avait alerté sur un "don d’Areva" de 35 millions d’euros ajouté in extremis au budget national du Niger. Suite à ces révélations, le géant français du nucléaire avait attaqué en justice l'organisme indépendant et poursuivi en diffamation son président, Stéphane Lhomme. En janvier 2015, la cour d'appel de Paris a donné raison au militant antinucléaire et candidat à la primaire écologiste en 2011, et l'a relaxé.
L'enquête est suivie d'un débat animé par Patricia Loison, qui reçoit Corinne Lepage, avocate spécialisée dans les questions d’environnement, ancienne ministre de l’Environnement et ex-députée européenne, présidente du Rassemblement citoyen Cap21, et Dominique Vignon, président du groupe Framatome de 1995 à 2001.
La rédaction vous invite à commenter l'émission sur sa page Facebook ou sur Twitter avec le hashtag #PacFTV.