La sureté des centrales est-elle vraiment au point ?
Séisme, risque incendie, tornade, inondations, sécheresse prolongée, température élevée, changement climatique, conséquences d'un accident nucléaire, sont bien au cœur des préoccupations de l'ASN.
Dans un document de mai 2018. Elle recommande que les recherches soient approfondies sur ces problématiques.
Et cela, plus de 30 ans après le début d'activité des centrales !!
Lire le document ci-dessous.
REPUBLIQUE FRANÇAISE
Avis n° 2018-AV-0306 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 4 mai 2018
relatif à l’identification de sujets de recherche à approfondir
dans différents domaines relevant de la sûreté nucléaire et de la radioprotection
L’Autorité de sûreté nucléaire,
Vu le code de l’environnement, notamment son article L.592-31-1 ;
Vu l’arrêté du 7 février 2012 modifié fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base ;
Vu l’avis n° 2012-AV-0147 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 10 avril 2012 relatif à l’importance que revêt la recherche pour l’ASN et à l’identification de premiers sujets de recherche à renforcer dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ;
Vu l’avis n° 2015-AV-0226 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 8 janvier 2015 relatif à l’identification de sujets de recherche à approfondir dans différents domaines relevant de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ;
Vu les recommandations du comité scientifique de l’Autorité de sûreté nucléaire des 4 juillet 2014, 10 décembre 2014, 6 juillet 2015, 10 décembre 2015, 26 août 2016, 30 janvier 2017 et 1er septembre 2017 ;
Considérant que les propositions et recommandations des avis de 2012 et 2015 susvisés demeurent pertinentes et qu’il convient de les compléter,
Rend l’avis suivant sur les sujets de recherche à approfondir dans les domaines suivants relevant de la sûreté nucléaire et de la radioprotection :
- agressions naturelles externes ;
- risque d’incendie dans les installations nucléaires de base (INB) ;
- matériaux de la gaine du combustible nucléaire pour les réacteurs à eau sous pression ;
- impact sanitaire des rayonnements ionisants ;
- conséquences socio-économiques d’un accident nucléaire.
1 – Dans le domaine des agressions naturelles externes, l’ASN
- Rappelle que :
- les agressions externes à prendre en considération dans la démonstration de sûreté nucléaire des installations nucléaires de base sont définies à l’article 3.6 de l’arrêté du 7 février 2012 susvisé ;
- des recherches portant sur les agressions naturelles externes sont en cours ou planifiées par divers organismes en France et dans certains cas menées en coopération avec l’OCDE/AEN et dans le cadre d’accords bilatéraux ;
- une plus grande priorité est accordée aux recherches sur les séismes, les inondations et les impacts du changement climatique, ce qui est approprié ;
- d’autres risques naturels (glace frasil, températures élevées, etc.) nécessitant moins de recherche sont aussi traités ;
- des progrès dans les connaissances sur le séisme, notamment via les programmes SIGMA et SINAPS@, ont été réalisés pour améliorer la prédiction des mouvements du sol et du comportement des structures, systèmes et composants (SSC) et ainsi réduire les incertitudes dans l’évaluation des risques associés ;
- les données historiques sur les inondations et le développement de méthodes statistiques pour les exploiter sont essentiels ;
- l’accident de Fukushima a mis en lumière le besoin de mieux caractériser les agressions externes, et notamment l’aléa tornade, et que les approches internationales les plus répandues pour caractériser cet aléa, dont l’approche américaine, sont probabilistes, ce qui ne correspond pas à l’approche déterministe exigée en France ;
- Estime que :
- des divergences entre experts persistent dans la détermination des séismes de très faible probabilité en deçà de 10-4/an compte tenu notamment du manque de données sur les séismes importants en France ;
- des efforts accrus pour développer les courbes de fragilité sismique des SSC devraient être réalisés, en profitant des travaux internationaux tels que ceux menés par les États-Unis et le Japon ;
- l’évaluation des risques liés aux inondations externes sur les installations est particulièrement complexe ;
- l’impact du changement climatique sur la fréquence des agressions naturelles extrêmes doit être pris en compte tout en étant difficile à déterminer ;
- l’aléa tornade devra faire l’objet d’une attention particulière en vue d’être mieux pris en compte dans les démonstrations de sûreté des INB, et que la fréquence d’occurrence de ce phénomène en France ne permet pas une utilisation optimale de l’approche probabiliste, adaptée pour des pays où ce phénomène est fréquent ;
- Recommande que les recherches soient approfondies sur :
- le séisme, notamment sur l’approfondissement de la connaissance des sources sismiques dans les régions présentant des caractéristiques géologiques et sismiques semblables à celles de la France, ainsi que sur les effets de sites ;
- les méthodes d’évaluation des risques liés aux inondations externes sur les installations, y compris celles induites par des séismes ;
- l’impact potentiel du changement climatique sur les risques naturels tels que les vagues de chaleur, les cyclones, les tornades et les ondes de tempête ;
- les modèles retenus pour la caractérisation déterministe de l’aléa tornade en France ;
et que toute initiative soit encouragée pour favoriser la coopération entre les organismes qui mènent des recherches sur les risques naturels en France.
2 – Dans le domaine du risque d’incendie dans les INB, l’ASN
- Rappelle que :
- l’incendie est l’un des principaux risques pour les centrales nucléaires, les installations du cycle du combustible et de stockage de déchets, susceptible de conduire au dysfonctionnement d’équipements assurant des fonctions de sûreté, voire à des accidents graves avec rejet de matières radioactives, et qu’il convient d’en prévenir l’occurrence et d’en limiter les conséquences ;
- des progrès significatifs ont été réalisés ces vingt dernières années dans la compréhension et la modélisation du développement de l’incendie, sa propagation dans des espaces confinés et ventilés et ses conséquences en termes de rejets radioactifs ;
- Estime que :
- la caractérisation de la combustion de certains foyers complexes (câbles ou armoires électriques, boîtes à gants, déchets en fûts…) doit être améliorée pour mieux garantir le caractère enveloppe des agressions retenues dans la démonstration de sûreté des INB ;
- les risques de propagation des feux le long des chemins de câbles électriques peuvent mettre en cause la sectorisation dans les INB;
- les incendies sous ventilés, par la production de suies, peuvent mettre en cause le fonctionnement de certains équipements, et par l’inflammation de gaz imbrulés, dégrader le confinement ;
- les données expérimentales consolidées sont insuffisantes à ce jour pour caractériser les rejets et le transfert de plutonium depuis les feux de solution et les feux de boîtes à gants impliquant ce radionucléide ;
- les effets de pression résultant d’un incendie, notamment les phénomènes d’oscillations de pression, sont insuffisamment compris et modélisés, alors même qu’ils peuvent remettre en cause les cascades de pression entre locaux, voire compromettre l’efficacité de la sectorisation ;
- une meilleure appréhension du risque de dispersion de matières radioactives en cas d’incendie serait utile pour évaluer les dispositions de confinement ;
- les incendies consécutifs aux séismes et les incendies susceptibles d’affecter le stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde, Cigéo, doivent être mieux caractérisés ;
- Recommande que les recherches soient approfondies sur :
- la propagation des feux de chemins de câbles électriques ;
- les incendies sous ventilés, en se concentrant sur la caractérisation de la combustion et ses effets, notamment en termes de production de suie et d’inflammation de gaz imbrûlés ;
- les effets de tels incendies sur le comportement des éléments de sectorisation et des équipements de sûreté, notamment les conditions de défaillance des équipements électriques et électroniques exposés aux fumées et aux suies ;
- les rejets et le transfert de plutonium depuis les feux de solution et les feux de boîtes à gants impliquant ce radionucléide ;
- les oscillations de pression en cas d’incendie, observées dans certaines configurations de ventilation et susceptibles de nuire au fonctionnement des éléments de sectorisation et autres dispositifs de protection contre l’incendie des installations nucléaires ;
- la modélisation et la maîtrise de l’incendie dans les installations souterraines ;
- les performances des dispositifs spécifiques de protection contre l’incendie, notamment les systèmes d’arrosage et les protections thermiques ;
- les méthodes d’évaluation des risques d’incendie consécutifs aux séismes.
3 – Dans le domaine des matériaux de la gaine du combustible nucléaire pour les réacteurs à eau sous pression, l’ASN :
- Rappelle que :
- le maintien du confinement de la première barrière (assuré par la gaine) et le maintien d’une géométrie qui permet le refroidissement du coeur sont des enjeux de sûreté forts ;
- le ballonnement des gaines provoqué par les conditions de pression et de température internes au crayon du combustible est préjudiciable à leur refroidissement ;
- l’oxydation par l’eau en régime de fonctionnement normal ou par l’air et la vapeur d’eau en régime accidentel joue un rôle majeur dans le comportement des matériaux de gainage à base de zirconium utilisés dans les réacteurs à eau sous pression vis-à-vis des accidents de perte de refroidissement en réacteur et en piscine d’entreposage et des accidents graves ;
- le développement de nouveaux matériaux de gainage moins sensibles à ces phénomènes est un facteur-clé d’amélioration de la sûreté des réacteurs actuels et futurs ;
- Estime que :
- les efforts de compréhension et de modélisation des phénomènes physiques intervenant au cours des accidents affectant le gainage du combustible doivent être poursuivis ;
- Recommande que les recherches soient approfondies sur :
- le comportement du combustible en cas de perte de refroidissement, en particulier la fragmentation possible du combustible et sa relocalisation potentielle à l’intérieur des gaines ballonnées en situation accidentelle ;
- les nouveaux matériaux de gainage améliorés, notamment vis-à-vis des risques de ballonnement et d’oxydation, en situation de perte de refroidissement et d’accident grave.
4 – Dans le domaine de l’impact sanitaire des rayonnements ionisants, l’ASN
- Rappelle que :
- les personnes résidant à proximité d’installations nucléaires posent régulièrement des questions sur une éventuelle augmentation du risque de cancer liée aux rejets radioactifs ;
- la quantité et la qualité des données nécessaires pour la mise en évidence d’une telle augmentation sont extrêmement importantes, et des études à effectifs trop faibles ne sont pas probantes ;
- après exposition aux radiations, un temps de latence de 10 à 30 ans est nécessaire pour mettre en évidence un risque, s’il existe ;
- des études sur l’incidence des cancers dans différentes populations exposées aux rayonnements ionisants ont mis en évidence que le risque de cancer radioinduit est plus élevé pour les personnes exposées dans leur jeunesse (fortes doses : survivants d’Hiroshima et de Nagasaki ou traitements par radiothérapie ; faibles doses : examens par scanner) ;
- la majeure partie des études menées en France et au niveau international n’ont pas mis en évidence de risque accru de leucémie infantile à proximité des sites nucléaires dans des conditions normales de fonctionnement. Cependant, un excès de risque chez le jeune enfant de moins de 5 ans a été observé dans plusieurs études (étude allemande KiKK et programme GEOCAP, si résidence à faible distance du site nucléaire, sur la période 2002-2007), sans toutefois établir un lien de causalité ;
- les études menées à partir des registres de cancers de l’enfant et de l’adolescent (tumeurs solides et leucémies) permettent de comparer l’incidence de ces cancers chez les habitants résidant à faible distance (moins de 5 ou 10 km) du site nucléaire et chez les habitants résidant à 20 km et plus. Même si les dernières études françaises ont tenu compte des niveaux de rejets radioactifs dans l’atmosphère, ces études ne permettent pas d’établir de relation causale, car elles ne tiennent pas compte d’autres facteurs de risque spécifiques ;
- le dernier séminaire organisé par l’ASN réunissant des experts français et étrangers a rappelé que les radiations sont susceptibles d’induire des leucémies, mais que d’autres facteurs interagissent et peuvent prédisposer ou intervenir dans le développement de ces maladies, et qu’il est encore difficile de distinguer la part de chacun. Les différentes formes histologiques des leucémies obéissent parfois à des facteurs de risque différents, et l’on peut s’interroger sur le rôle de la génétique, de l’épigénétique et d’une exposition in utero ;
- les études épidémiologiques sur l’exposition professionnelle sont importantes car, en cas d’excès de cancers observé dans une population proche de sites nucléaires, elles permettraient de distinguer un risque lié à un facteur environnemental (type rejets) d’un risque lié à l’activité professionnelle, sachant que les travailleurs de l’industrie nucléaire résident souvent à proximité des sites. Par ailleurs, les études de cohortes des travailleurs permettent d’étudier l’ensemble des facteurs pouvant intervenir dans le développement d’une maladie en milieu professionnel et donc d’établir des relations dose-effet pour des expositions cumulées relativement faibles ;
- en France, il n’existe pas de registre national des cancers des adultes, mais un certain nombre de registres régionaux, dont la plupart ne couvrent pas les zones proches de sites nucléaires et le suivi du risque de cancer à l’âge adulte est à ce jour limité à l’étude des causes de décès.
- Estime que :
- une étude des leucémies et des tumeurs solides autour des sites nucléaires devrait être réalisée au moins tous les 10 ans à partir du registre national disponible pour les enfants et les adolescents ;
- les études débutées récemment sur le suivi pendant l’enfance, puis à l’âge adulte, d’enfants ayant eu des expositions médicales (scanner ou radiothérapie) doivent être soutenues à long terme car elles devraient permettre d'estimer le risque lié à des faibles doses d’exposition ;
- disposer de taux fiables d’incidence des cancers, par tranche d’âge et par sexe, pouvant servir de référence pour une population au niveau régional, serait particulièrement utile aussi bien pour l’information du public que pour un suivi épidémiologique de long terme particulièrement après un rejet important dans l’environnement d’une INB ;
- Recommande que les recherches soient approfondies sur :
- les effets à long terme des expositions aux rayonnements ionisants pendant la jeune enfance, afin de préciser ce risque et d’étudier la relation entre la dose reçue et l’effet observé. Ces études doivent être réalisées selon un protocole reconnu au niveau international, afin de pouvoir comparer les études publiées dans plusieurs pays ;
- la connaissance des autres facteurs de risques des cancers, pour mieux distinguer les effets dus aux radiations ;
- le rôle de la génétique, de l’épigénétique et de l’exposition in utero pour les cancers radioinduits ;
- et au-delà des sujets de recherche à approfondir, recommande :
- de soutenir les registres existants et de favoriser la collaboration entre les responsables des registres et les personnes impliquées dans les études épidémiologiques ;
- de favoriser les synthèses permettant de faire régulièrement le point sur les connaissances acquises ;
- d’étudier l’opportunité et la faisabilité de mise en place d’un registre national des cancers des adultes.
5 – Dans le domaine des conséquences socio-économiques d’un accident nucléaire, l’ASN
- Rappelle que :
- l’évaluation socio-économique a priori des conséquences d’un accident nucléaire fournit aux décideurs des connaissances utiles à la gestion de la phase post-accidentelle ;
- des recherches de nature pluridisciplinaire portant sur les conséquences socio-économiques d’un accident nucléaire sont en cours ;
- Estime que :
- des questions restent ouvertes sur les hypothèses et les modèles à prendre en compte pour estimer les conséquences socio-économiques d’un accident nucléaire, notamment sur les stratégies d’assainissement et sur la prise en compte de l’aversion aux risques ;
- une coopération forte est nécessaire entre les exploitants d’INB, les experts de l’estimation des risques nucléaires, les acteurs de la préparation et de la gestion des situations d’urgence et de la phase post-accidentelle et les experts de l’économie et des assurances pour mettre en commun leurs connaissances pour l’évaluation des conséquences socio-économiques d’un accident nucléaire ;
- les travaux au niveau international doivent être poursuivis et qu’un séminaire pourrait utilement être organisé d’ici quatre à cinq ans pour examiner les progrès réalisés dans ce domaine ;
- Recommande que les recherches soient approfondies sur :
- les conséquences socio-économiques, à moyen et à long terme, des accidents nucléaires survenus, en collectant les données nécessaires et en procédant à leur analyse ;
- la méthodologie d’évaluation des conséquences socio-économiques d’un accident nucléaire, dans le cadre par exemple d’un appel à projets de recherche ;
- la prise en compte de la perception et de l’aversion aux risques individuel ou collectif, en complément des approches déterministes et probabilistes utilisées dans la démonstration de sûreté ;
- les mécanismes d’assurance du risque nucléaire, et d’indemnisation associée, notamment la prise en compte de l’aversion au risque dans l’évaluation économique du coût d’un accident, et la répartition de la couverture assurantielle, en cas d’accident nucléaire, entre l’exploitant, l’Etat concerné et la communauté internationale.
Fait à Montrouge, le 4 mai 2018.
Le collège de l’Autorité de sûreté nucléaire,
Signé par Pierre-Franck CHEVET , Sylvie CADET-MERCIER, Philippe CHAUMET-RIFFAUD, Lydie EVRARD, Margot TIRMARCHE
L'article en ligne sur le site de l'ASN