Independance de l'ASN ?
Pourquoi il est impératif de renforcer l’Autorité de Sûreté Nucléaire
un article de Corinne Lepage du 14 01 2017
Il est plus que temps que les moyens juridiques et financiers de l’autorité de sûreté nucléaire soient renforcés, son indépendance réellement assurée et que tous les Français comprennent l’impérieuse nécessité qu’il y a à soutenir cette indépendance.
On ne peut être que très inquiet des pressions croissantes auxquelles l’ASN risque d’être soumise. En effet, la quasi survie de la filière nucléaire française, EDF et Areva, dépend de la décision qui devra être prise sur les cuves de Flamanville. Ainsi, la décision que la Commission européenne vient de rendre présentée par la filière comme un grand succès n’est qu’une position d’attente. Elle autorise un prêt de 3,3 milliards à Areva par l’État en attendant que puissent aboutir les opérations de concentration d’EDF. Or, ces opérations sont subordonnées au rachat d’Areva NP par EDF, lequel est subordonné au feu vert donné par l’ASN à la cuve de Flamanville. De même, le contrat d’Hinkley Point serait subordonné (le conditionnel est de mise puisque le contrat est secret même pour les administrateurs d’EDF…) à la mise en service de Flamanville.
On peut dès lors s’attendre à des pressions sans commune mesure à celles que l’ASN a déjà dû supporter pour autoriser très récemment le redémarrage de réacteurs mis en cause après la découverte des dysfonctionnements graves du Creusot pour qu’un feu vert soit donné. Il en va d’autant plus ainsi que un refus de poursuite en l’état du réacteur de Flamanville exposerait EDF à des dépenses supplémentaires considérables et à un renvoi d’une hypothétique mise en service de Flamanville bien au-delà de 2020.
On peut mesurer du reste l’état d’esprit d’EDF qui n’hésite pas à communiquer sur d’excellents résultats qu’elle aurait obtenus quant aux fuites de carbone de la cuve et du couvercle de Flamanville et qui n’a pas hésité non plus, malgré les mises en garde de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, à monter le couvercle du réacteur. En effet, le fait que l’autorité de sûreté nucléaire ait rappelé à plusieurs reprises qu’une telle opération se faisait aux risques et périls de l’entreprise et que rien ne permettait d’anticiper un feu vert s’est heurté au mépris le plus total de l’entreprise publique.
La situation financière de cette dernière ne lui laisse aucune marge de manœuvre; la vente de 50 % de RTE à la caisse des dépôts, la recapitalisation par l’État, l’abandon par l’État des dividendes pour l’année 2016 sont autant d’expédients –au demeurant fort coûteux pour le contribuable et sans doute très éloigné de l’intérêt général énergétique des Français- pour éviter de rejoindre Areva dans une compétition au fiasco financier le plus lourd.
Tout ceci contribue bien entendu à mettre l’autorité de sûreté nucléaire dans un corner. Certains se sont interrogés sur le bien-fondé technique du feu vert donné au redémarrage d’un certain nombre de réacteurs après qu’aient été modifiées de manière substantielle leurs règles de fonctionnement pour permettre précisément ce redémarrage. Ce qui semble être des arrangements avec les règles de sûreté n’anticipe-t-il pas un choix qui serait imposé à l’ASN au début de l’année 2017?
La création de l’autorité de sûreté nucléaire a été incontestablement un progrès par rapport au contrôle interne qui était celui de la direction des installations nucléaires et l’arrivée de Pierre-Franck Chevet un progrès par rapport à la gestion d’André-Claude Lacoste. Il n’en demeure pas moins qu’en l’état, l’autorité de sûreté nucléaire ne répond pas aux obligations de la directive communautaire relative à la sûreté des installations nucléaires. Celle-ci exige en effet que l’autorité chargée de la sûreté nucléaire jouisse d’une totale indépendance et de la totalité des moyens nécessaires à la satisfaction de sa mission. Ce n’est pas le cas en France.
Si, les membres de l’autorité de sûreté nucléaire ne peuvent être démis de leurs fonctions, ce qui donne une certaine indépendance, personne, l’autorité elle-même, classée pourtant dans les autorités administratives indépendantes, n’est pas indépendante puisqu’elle ne dispose pas de la personnalité morale. Cela signifie que sur un plan juridique l’autorité de sûreté nucléaire n’est pas distincte de l’État. Or, l’indépendance passe évidemment par la personnalité morale qui a été refusée à l’autorité de sûreté nucléaire. Malgré le rapport Berson présenté en 2014 qui proposait que soit reconnue la personnalité morale de l’ASN et que celle-ci soit dotée d’un financement pérenne indépendant d’un vote budgétaire annuel, rien n’a été fait. Non seulement l’ASN n’a toujours pas de personnalité morale mais, ses ressources sont aux dires de son président insuffisantes pour couvrir sa mission. Ainsi, la France n’est-elle pas dans les clous communautaires en ce qui concerne son autorité de sûreté nucléaire ce qui est fâcheux sur un plan juridique mais l’est encore beaucoup plus sur un plan technico-politique.
À plusieurs reprises, le président l’autorité de sûreté nucléaire a souligné l’inquiétude qui était la sienne au regard de la sécurité et de la sûreté nos centrales. Il ne peut pas être seul contre l’appareil d’État dans son ensemble et les des intérêts économiques gigantesques et tentaculaires que sont ceux du lobby nucléaire.
Il est plus que temps que les moyens juridiques et financiers de l’autorité de sûreté nucléaire soient renforcés, son indépendance réellement assurée et que tous les Français comprennent l’impérieuse nécessité qu’il y a à soutenir cette indépendance.
Personne n’ose penser ce que serait un feu vert donné à un réacteur qui subirait ultérieurement une avarie grave alors même que l’exploitant, l’auteur du feu vert comme tous ceux qui auraient œuvré à ce qu’il soit donné, auraient été tout parfaitement conscients du risque qu’ils faisaient courir à la population française.