Flamanville : plainte contre EDF pour «infractions» à la sûreté
—
17 juillet 2018 à 20:16
Sortir du nucléaire et Greenpeace doivent saisir la justice ce mercredi matin dans l’affaire des soudures défectueuses détectées sur les tuyauteries du futur réacteur EPR.
Le feuilleton du chantier maudit du réacteur EPR, construit par EDF sur la centrale de Flamanville (Manche), prend une tournure judiciaire. Selon nos informations, Sortir du nucléaire et Greenpeace France vont déposer ce mercredi matin auprès de la procureure du tribunal de grande instance de Cherbourg une plainte visant EDF et sa filiale industrielle Framatome (ex-Areva NP) «pour dix infractions au code de l’environnement et à la réglementation relative aux installations nucléaires de base».
L’action en justice des deux associations antinucléaires fait suite à l’affaire des soudures défectueuses détectées sur le circuit secondaire de l’EPR de Flamanville III. Ce réacteur à eau pressurisée de nouvelle génération devait être le fleuron de l’atome français. Mais il accumule les problèmes de qualité. Initialement prévue en 2012, sa mise en service a été plusieurs fois repoussée par EDF et risque de ne pas intervenir avant 2020(lire Libération du 1er juin ). Le coût du chantier a déjà triplé de 3,5 à 10,5 milliards d’euros. Lié à la découverte d’«écarts de qualité» sur plus d’un tiers des 150 soudures du circuit secondaire de l’EPR, ce nouveau retard d’un an pourrait coûter un milliard de plus à l’électricien. Car EDF va devoir refaire ces soudures défectueuses : les équipements nucléaires doivent présenter une robustesse à toute épreuve - principe dit de «l’exclusion de rupture».
Le problème des soudures a déjà fait beaucoup de bruit, sachant qu’il intervient après l’affaire de la cuve du même EPR de Flamanville dont la solidité posait aussi question. Mais c’est donc à une enquête judiciaire que s’expose maintenant EDF.
La plainte que Libération a pu consulter liste «dix infractions» à la réglementation sur la sûreté des installations nucléaires, toutes susceptibles de poursuites pénales, dont «deux délits» : un «délit de mise à disposition sur le marché et d’installation d’un équipement à risques ne satisfaisant pas aux exigences essentielles de sûreté» (article L557 du code de l’environnement), puni de deux ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, et «un délit de retard dans la déclaration d’incident à l’ASN» (article L591), puni d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Deux amendes qui peuvent être quintuplées. Et c’est sans compter toutes les infractions citées dans la plainte : «Violation du principe de défense en profondeur» (sûreté redondante), «absence de notification des exigences […] d’exclusion de rupture aux intervenants extérieurs», «absence d’analyse approfondie d’un événement significatif», «absence d’actions de vérifications adaptées et de surveillance d’EDF et de Framatome», «absence d’actions correctives appropriées» et de «traitement des écarts adaptés aux enjeux de la sûreté»…
Furibard
Les partisans de la sortie du nucléaire, qui mènent une guérilla contre l’EPR, espèrent surtout que la justice ouvrira une enquête pour établir la responsabilité d’EDF. Ils visent la manière dont l’électricien et Framatome ont géré ce gros problème de plomberie avec leurs sous-traitants Nordon et Ponticelli. Mais aussi la manière dont ils ont informé l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de la situation. Ce n’est que le 30 novembre que l’entreprise a déclaré à l’ASN «un événement significatif», après avoir détecté un problème de qualité susceptible de toucher les soudures du circuit servant à évacuer la vapeur générée par le réacteur vers la turbine qui produit l’électricité. Le 10 avril, EDF confirme la découverte «d’écarts de qualité dans la réalisation des soudures sur les tuyauteries du circuit secondaire principal de l’EPR de Flamanville» et promet «des contrôles additionnels sur les 150 soudures concernées».
Mais le gendarme du nucléaire est furibard : dans un courrier à Pierre-Franck Chevet, le président de l’ASN, Thierry Charles, chargé du dossier à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, pointe «des défaillances humaines et organisationnelles», «un manque de rigueur des fournisseurs» et surtout «les insuffisances du système de surveillance» d’EDF. Il parle d’une «alerte sérieuse sur la qualité de réalisation des soudures» et de «dysfonctionnements potentiellement préjudiciables à la sûreté». Un réquisitoire violent qui sera suivi le 30 mai d’une inspection sur le chantier de Flamanville : or là encore, l’ASN interpelle EDF sur la manière très «perfectible» dont ses équipes s’emploient à circonscrire le problème. Pour Charlotte Mijeon, porte-parole de Sortir du nucléaire, EDF et Framatome «ont laissé fabriquer et installer sur l’EPR de Flamanville des tuyauteries dont les soudures ne correspondaient pas aux exigences de sûreté».
Et, surtout, «ils ont omis d’en informer l’ASN» dès la découverte du problème en 2015 sur des soudures réalisées à l’usine Fives-Nordon à Nancy. «Avoir attendu plus de deux ans constitue-t-il le symptôme d’un dysfonctionnement grave de l’organisation d’EDF ? Ou s’agit-il d’une volonté délibérée de retarder le traitement des "écarts" pour bénéficier du fait accompli, les tuyauteries étant déjà installées ?» interroge Sortir du nucléaire. Yves Marignac, du cabinet Wise-Paris, se dit lui «abasourdi» par «la défaillance continue du contrôle qualité qui a encore cours aujourd’hui chez EDF». Une nouvelle descente de l’ASN, le 12 juin chez Nordon, a révélé que le fournisseur n’avait toujours pas dit comment il pensait parvenir à des soudures zéro défaut, et que «la surveillance de Framatome n’a pas été en mesure de détecter cet écart» avec la qualité requise.
Mauvaise pub
Interrogé par Libération, EDF n’a pas souhaité commenter cette plainte et précise que «les échanges avec l’ASN se poursuivent». C’est maintenant à la procureure de Cherbourg de décider si elle classe la plainte ou si elle ouvre une enquête préliminaire, voire nomme un juge d’instruction. Dans ce dernier cas, cela ferait encore une bien mauvaise pub à l’EPR, qu’EDF espère toujours construire à plusieurs exemplaires en France, malgré l’objectif de réduction du nucléaire. Et que le groupe veut vendre à l’Inde, après la Chine et le Royaume-Uni.