EDF la bombe à retardement
SAMEDI 3 octobre 2015
CONFERENCE- DEBAT avec Thierry Gadault, journaliste économique
Salle Erasme, MAISON DES ASSOCIATIONS, 46 ter, rue Sainte-Catherine à ORLEANS.
"La question n'est plus de savoir s'il y aura un accident nucléaire en France, mais quand et où".
Le livre de Thierry Gadault "EDF la bombe à retardement", paru en 2014, s'ouvre sur ces propos tenus par un cadre dirigeant d'EDF, et confirmés par d'autres salariés. Propos contre lesquels le premier mouvement de l'auteur a été de s'insurger, car, comme beaucoup de Français, il pensait que l'expérience accumulée par EDF depuis le lancement du programme électronucléaire en 1973 et la compétence de ses ingénieurs mettaient la France à l'abri d'un accident grave, analogue à ceux qui ont frappé les Etats-Unis (Three Mile Island en 1979), l'Ukraine (Tchernobyl en 1986) et le Japon (Fukushima en 2011). Certes la France a connu (et dissimulé à la population) deux graves accidents à Saint-Laurent-des-Eaux en 1969 et 1980, ayant entraîné un début de fusion du coeur de deux réacteurs, mais ils se sont produits dans des réacteurs de la filière graphite-gaz, qui a, à la suite de l'accident de 1969, été abandonnée. Les 58 réacteurs actuellement en fonctionnement, répartis dans 19 centrales, appartiennent tous (comme les futurs EPR) à la filière des réacteurs à eau pressurisée, développée par les ingénieurs des Ponts et Chaussées au sein d'EDF en collaboration avec le groupe franco-belge Empain-Schneider (dont la filiale Framatome a construit la cuve des réacteurs), grâce à l'acquisition dans les années 50 d'un brevet auprès du groupe américain Westinghouse. Mais EDF traverse aujourd'hui une triple crise, sociale, financière et technologique, dont le constat conduit Thierry Gadault à la conclusion que l'entreprise joue avec notre avenir à la roulette russe.
L'ouverture à la concurrence et la privatisation d'EDF ( passée du statut d'Etablissement Public Industriel et Commercial à celui de société anonyme en août 2004 et introduite sur le marché boursier ) n'ont selon l'auteur joué qu'un rôle très marginal dans le déclenchement de cette crise. En effet, l'Etat français détient toujours 84,49°/° du capital et les 13,6°/° du capital répartis en Bourse (-les salariés se partagent les 1,8°/° restants-) ne constituent pas une valeur spéculative intéressant les boursicoteurs. Le recours massif à la sous-traitance pour la maintenance est bien antérieur à la privatisation, puisqu'il a été engagé dès la fin des années 80. Lors des arrêts de tranche pour le changement des barres de combustible il est procédé à la vérification des installations de la zone contrôlée et à d'éventuelles réparations. Plus d'un millier de travailleurs intermittents embauchés par des entreprises sous-traitantes, qui les paient le plus souvent au niveau du SMIC, interviennent alors sur chaque site ( sur lequel travaillent, selon son importance, entre 600 et 1 000 salariés EDF permanents ). Au nombre de 43 000 ils parcourent la France de site en site et sont actuellement chargés de plus de 80°/° des opérations de maintenance. Au-delà de l'objectif de rentabilité économique ce modèle productif répond aussi à un besoin spécifique de l'industrie nucléaire: celui du partage des doses de rayonnements ionisants sur un plus grand nombre de travailleurs. Dès qu'un salarié intermittent approche de la dose limite, la société sous-traitante le met à l'arrêt (-ce qui a pu conduire certains salariés à retirer parfois leur dosimètre -). Le recours massif à la sous-traitance a entraîné une perte importante de compétences en interne, qui a été aggravée ces dernières années par le départ en retraite des salariés embauchés dans les années 70. Il est vrai qu'aujourd'hui EDF recrute massivement après des années de réduction des effectifs opérationnels. Mais les pertes massives de compétences sont difficiles à compenser.
En ce qui concerne le mythe du nucléaire bon marché, Thierry Gadault rappelle que, si les Français ont profité (-et profitent encore, même si les prix de l'électricité augmentent actuellement plus en France que dans le reste de l'Europe-) d'une électricité moins chère, ils ne le doivent pas au nucléaire ( qui produit 75°/° de notre électricité ) mais à l'exception hexagonale en matière de tarifs: ceux-ci sont administrés, EDF n'étant pas libre de fixer les prix. En principe, les tarifs devraient couvrir au minimum les coûts d'exploitation et auraient donc dû suivre la hausse de ces coûts. Mais, pendant les années 1990-2000, les gouvernements successifs ont tout fait pour ne pas augmenter les tarifs. Ces tarifs réglementés disparaîtront le 1er janvier 2016 et le gouvernement ne pourra plus intervenir pour limiter la hausse. EDF et les pouvoirs publics sont aujourd'hui rattrapés par la réalité: l'électricité nucléaire coûte de plus en plus cher. Le coût d'exploitation des centrales augmente rapidement avec le vieillissement des installations, qui fait flamber les coûts de la maintenance. L'augmentation des contraintes du référentiel de sécurité ( due notamment aux nouvelles exigences imposées suite à Fukushima ) densifie le contenu des inspections décennales de l'autorité de sûreté nucléaire (ASN) et provoque un allongement incontrôlé de la durée des arrêts de tranche. Les investissements liés à ces arrêts de tranche augmentent de 10°/° par an depuis 2007.
EDF est une entreprise surendettée, dont les investissements à l'étranger se sont traduits par des pertes d'un montant évalué entre 14 et 15 milliards d'euros, et qui peine à entretenir un parc de centrales nucléaires surdimensionné. Les experts sont en effet unanimes: les 63 GW de production nucléaire installés dépassent largement les capacités normales de consommation. Dans la plupart des pays équipés du nucléaire, celui-ci est cantonné, du fait de sa faible capacité de réaction face aux fluctuations de la demande, à la consommation de base, des centrales à charbon ou à gaz venant compléter le dispositif pour répondre aux pics de consommation. Mais pas en France, où le parc nucléaire a été conçu pour répondre à la demande la plus élevée. D'où la solution trouvée pour rendre son fonctionnement rentable: le chauffage électrique, très peu efficace et très coûteux, qui équipe 1/3 des foyers et 2/3 des immeubles en construction, le parc électrique français représentant ainsi près de la moitié du parc européen. Ce qui explique le peu d'enthousiasme manifesté par EDF sur la question des économies d'énergie. Selon Yannick Jadot "à Bruxelles, chaque fois que la Commission propose des mesures pour réduire la consommation d'énergie, EDF déploie son lobbying pour s'y opposer".
EDF, qui se trouve dans une impasse financière, mise sur l'allongement de la durée de vie de ses réacteurs ( conçus pour durer 40 ans, et que l'entreprise souhaiterait faire tenir 60 ans ). Elle envisage d'investir pour cet allongement 80 milliards d'ici à 2038. Mais, à supposer même que l'ASN donne l'autorisation de prolongation pour tous les réacteurs, très vite se posera la question du renouvellement du parc. Et il faudrait 40 EPR ( dont le coût de construction ne cesse de grimper, à mesure que s'allongent les délais de réalisation ) pour remplacer les 58 réacteurs en exploitation.
Le système électrique français, qui a tout misé sur le nucléaire, a surexploité les centrales, dont l'entretien a été bâclé pour des raisons financières de 2000 à 2010. D'où leur vieillissement accéléré, le faible taux de disponibilité des réacteurs, l'inflation des coûts de maintenance et la faible profitabilité d'EDF. L'entreprise, comme le conducteur du sketch de Raymond Devos, s'est engagée dans un rond-point dont elle se rend compte trop tard qu'elle ne peut plus sortir, toutes les rues affichant un sens interdit.
Le miracle, c'est que rien de grave ne se soit encore produit.
Tic tac, tic tac
23 juin 2015