Documentaire “Brennilis, la centrale qui ne voulait pas s'éteindre”, de Brigitte Chevet

08/10/2009 23:10
Intuition et patience : telles sont les deux vertus qui ont permis à la réalisatrice rennaise de signer un film très éclairant sur la première centrale française destinée à être démantelée. Un réacteur expérimental construit en Bretagne dans les années 1960, bref, une toute petite centrale… qui pose un problème colossal.

C'est en 2000, en tournant L'Affaire Plogoff (du nom de cette centrale qui ne fut pas construite à cause de l'opposition des Bretons), que la documentariste Brigitte Chevet entend pour la première fois parler, par un cadre d'EDF, du démantèlement de la centrale de Brennilis. Personne ne s'y intéresse ? Brigitte Chevet, elle, décide d'aller voir… Elle y passera cinq ans. Et finalement, « l'attente a payé, les“ affaires” sont arrivées ». Alertée par la gravité des rejets occasionnés, la population s'est mobilisée, non sans provoquer la colère des sous-traitants chargés de la déconstruction, comme l’illustre l'introduction du film. Celui-ci fut diffusé sur France 3 en novembre 2008 (à pas d'heure). Le DVD est disponible sur le site de son producteur, Vivement lundi !.

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Arrêté, repris, arrêté… Le chantier de Brennilis a fini par faire parler de lui… localement. Et encore, il a fallu du temps : « La presse (Le Télégramme, Ouest-France) n’a pas sorti d’info avant d’être interpellée par les militants associatifs, se souvient Brigitte Chevet. Aujourd'hui, seul le documentaire permet de mener une enquête de longue haleine. » Quand la réalisatrice a commencé à arpenter ce coin des monts d’Arrée où une légende celte situe la porte de l’Enfer, les associations n'étaient pas encore mobilisées. « Au bout de trois semaines, j'étais déjà en possession de documents confidentiels sur l'antériorité de la pollution. J'avais l'impression de détenir des secrets d'Etat. Du coup, on devient un peu parano. Pourtant, il ne devrait pas y avoir de raison. Pourquoi devenir parano sur un sujet qui concerne tout le monde ? »

Néophyte en matière nucléaire, Brigitte Chevet a comblé ses lacunes en prenant soin de « ne pas tomber dans le militantisme. Il y a une guerre de religion qui nous empêche de poser le problème en France. Je voulais garder une position équilibrée, celle de la citoyenne lambda, tout en donnant les infos indispensables pour appréhender une situation complexe ». Véritable exploit, la documentariste réussit même à tourner à l’intérieur du bâtiment réacteur, le saint des saints, quasiment jamais filmé en France. « J’ai travaillé avec EDF Bretagne, c’était plus simple, plus direct que de passer par Paris. Comme ils étaient d’abord réticents, je les ai mis devant leur contradiction : ils ne pouvaient pas affirmer que Brennilis était la vitrine du démantèlement et dans le même temps refuser l’accès aux caméras. » Deuxième surprise, quand l’Autorité de sûreté nucléaire décide de se faire un « coup de pub » sur le dos d’EDF. Cela donne une séquence aussi étonnante qu’inquiétante sur les carences de la protection des ouvriers – pendant le tournage de laquelle le cameraman fut d’ailleurs contaminé.

Brennilis, la centrale qui ne voulait pas s’éteindre, vaut encore pour son expertise scientifique – réalisée par la Criirad (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité) –, par la qualité des témoignages – dont celui de Michel Marzin, courageux ingénieur d'EDF à la retraite. Et pour sa profondeur historique – lumineuses archives de l’INA qui, avec l’enthousiasme des pionniers, célèbrent les promesses de l’atome providentiel lors de la mise en route du réacteur EL4 en 1967. Ce petit réacteur, dont l’enceinte était aussi étanche qu’un ciel breton, dont la déconstruction a déjà coûté 480 000 € et produit 110 000 tonnes de déchets … sans que le problème soit réglé et la pollution éradiquée. Parlant du démantèlement des installations nucléaires, Areva proclame pourtant : « Une technologie déjà maîtrisée, mais encore perfectible ! » Pas sûr que ça fasse rire les riverains de Brennilis. Ni les ouvriers du chantier abandonné.